Le Soudan en crise : conflits armés, défis humanitaires et historique
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Au Soudan, le conflit armé en cours depuis avril 2023 a provoqué une crise humanitaire et sécuritaire majeure2. Celui-ci éclate à la suite d’un mouvement de démocratisation qui renverse l’autocrate Omar el-Béchir, au pouvoir depuis des décennies. Ce moment d’espoir est rapidement récupéré par les militaires et mène finalement à une guerre civile :les Forces armées soudanaises (FAS) et les Forces de Soutien Rapide (FSR), deux entités militaires rivales, luttent pour le contrôle du pays. La compétition pour le pouvoir entre les généraux Abdel Fattah al-Burhan (FAS) et Mohamed Hamdam Dagalo (RSF)3 dégénère en affrontements violents, conduisant à des massacres, des déplacements massifs de populations et une situation humanitaire désastreuse, notamment à Geneina et au Darfour occidental4.
On compte au Soudan plus de 10 millions de personnes déplacées5 et plus de 13 900 personnes tuées depuis avril 2023.6 L’effondrement des infrastructures vitales rend l’accès à l’aide humanitaire plus difficile, aggravant la situation. L’afflux massif de réfugiés met à l’épreuve la capacité d’accueil des pays voisins et renforce les tensions régionales. D’après l’ONU, les besoins humanitaires sont en augmentation exponentielle : 11,7 millions de personnes (chiffre provisoire) ont besoin d’une assistance en matière de nourriture, de santé et de sécurité.7 Aujourd’hui, dans la ville de El-Fasher, au Darfour, assiégée par les RSF, des centaines de milliers de personnes, dont de nombreux réfugiés, sont prises au piège. Le Conseil de sécurité de l’ONU vient d’adopter une résolution demandant la fin du siège, des combats et des exactions contre les civils.
Cet article revient sur une crise trop souvent passée sous silence et sur le contexte d’instabilité historique du Soudan. Il met en lumière les origines de ce conflit, la situation humanitaire catastrophique et l’instabilité politique d’une des crises les plus complexes de notre époque. Il analyse l’historique, le rôle d’organisations internationales telles que l’ONU et l’Union européenne et les conséquences humanitaires et économiques du conflit au Soudan.
Situation actuelle
Le Soudan s’enfonce depuis plusieurs décennies dans un conflit complexe, marquant particulièrement la région du Darfour. Il a débuté en 2003 et persiste aujourd’hui, causant de nombreux ravages, malgré les efforts de la communauté internationale pour ramener la stabilité et la paix.
L’exploitation des ressources naturelles, en particulier l’or et le pétrole, alimente le conflit. Les factions armées (RSF et FAS) en utilisent les revenus pour financer leurs opérations. Au Darfour, des concessions minières sont souvent accordées sans consultation des communautés locales, ce qui accentue les tensions et les rivalités. Les habitants subissent des pertes de terres et de ressources, ce qui renforce le mécontentement envers le gouvernement central et les entreprises extractives. Les groupes rebelles s’appuient sur ce ressentiment pour renforcer leur soutien local et justifier leur lutte armée.
De nombreux rapports8 pointent les liens entre concessions minières, financement des groupes armés et intérêts étrangers, notamment ceux de pays du Moyen-Orient. Par exemple, des entreprises établies aux Emirats arabes unis, en exploitant l’or du Soudan, ont pour objectif de garantir leur sécurité en ressources naturelles et d’accroître leur influence. Ces pays jouent un rôle ambigu, en soutenant parfois indirectement des groupes armés pour protéger leurs investissements.
L’exploitation des ressources naturelles a aussi d’importantes répercussions sur l’environnement. Souvent rudimentaires et non réglementées, les méthodes d’extraction entraînent une détérioration des sols, la pollution de l’eau et la destruction de l’habitat naturel. Les exploitants sont incités à explorer de plus en plus en profondeur les zones rurales et les réserves naturelles, ce qui renforce la détérioration environnementale et les conflits fonciers. Les habitants sont directement touchés par l’exploitation des ressources : outre à l’abandon de leurs terres et de leurs moyens de subsistance traditionnels, ils sont confrontés aux violences liées à la sécurité des sites miniers. Les conditions de travail dans les mines sont dangereuses et précaires, avec peu de mesures de protection pour les employés, une dimension supplémentaire de souffrance humaine dans la région. 9
Les répercussions du conflit au Soudan sont désastreuses. Depuis avril 2023, plus de 10 millions d’individus ont été déplacés,10 et vivent dans des conditions précaires dans des camps à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Chaque mois, des milliers de personnes sont contraintes de fuir la violence, ce qui aggrave une crise humanitaire déjà importante.11 L’accès aux services de base est extrêmement difficile, car les infrastructures essentielles, comme les hôpitaux, les écoles et les routes, sont détruites ou gravement endommagées. Par exemple, deux massacres ont particulièrement touché la ville de Geneina, laissant des séquelles profondes au sein de la communauté.12 Les droits humains sont massivement violés au Darfour et dans d’autres régions du Soudan. Selon les rapports d’ONG et des Nations unies, des massacres de civils, des viols systémiques, ainsi que des actes de torture et des disparitions sont rapportés. Les milices soutenues par le gouvernement comme les groupes rebelles commettent fréquemment ces abus.13 La violence sexuelle sert d’ arme de guerre, pour terroriser les communautés et rompre la cohésion sociale. Les femmes et les filles victimes de ces atrocités subissent des violences physiques et psychologiques de la part des combattants des deux camps.14
La responsabilité des crimes de guerre revêt une importance capitale pour la justice et la réconciliation au Soudan. Plusieurs hauts responsables soudanais, dont l’ancien président Omar el-Béchir, ont été mis en examen par la Cour Pénal Internationale (CPI), pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Cependant, la collaboration du gouvernement soudanais avec la CPI est restreinte, et de nombreux suspects demeurent impunis.15 La justice transitionnelle, qui cherche à faire face au passé et à établir un cadre pour la réconciliation, joue un rôle crucial dans les processus de paix. Cela englobe l’enregistrement des abus, la poursuite des personnes responsables et la compensation des personnes touchées. Il est essentiel que la communauté internationale apporte son soutien afin de renforcer ces processus et d’assurer leur inclusion et leur respect des droits de toutes les parties concernées.16
Le conflit met aussi en péril la structure socio-politique du Soudan. Ces années de violence et de méfiance mutuelle aggravent les divisions ethniques et tribales, rendant les efforts de réconciliation nationale plus difficiles. Les tensions entre les factions militaires et civiles sur la direction future du pays persistent, engendrant une situation politique instable. Malgré leur importance, la mise en oeuvre des accords de paix reste souvent entravées par un manque de volonté politique.17
Les Nations Unies ont joué un rôle important pour tenter de stabiliser le Darfour. Toutefois, malgré son ampleur considérable, la MINUAD (l’opération hybride Union africaine-ONU au Darfour déployée de 2007 à 2020) a souvent été critiquée pour son manque d’efficacité dans la protection des civils et la réduction de la violence. Elle a cependant réussi à garantir une certaine sécurité et un soutien humanitaire dans les régions difficiles d’accès.18 Elle a finalement été dissoute après 13 ans, mais l’ONU reste engagée à travers son équipe pays au Soudan et ses agences humanitaires qui œuvrent sur le terrain pour apporter une aide cruciale aux populations touchées.19
Pour sa part, l’Union européenne joue un rôle capital dans le soutien humanitaire et le développement au Soudan. Des programmes de secours d’urgence, de nourriture, de soins médicaux et d’abris pour les populations déplacées sont financés par l’UE depuis le début du conflit. A titre d’exemple, l’Union européenne a apporté une contribution importante aux opérations du Programme Alimentaire Mondial (PAM) en 2023 afin de soutenir des millions de personnes affectées par la guerre civile.20 De plus, elle est impliquée dans la recherche d’une solution diplomatique et soutient les négociations de paix et les initiatives politiques visant à mettre un terme au conflit. Ces initiatives de médiation, généralement soutenues par d’autres acteurs internationaux, cherchent favoriser un dialogue entre les différentes parties prenantes soudanaises.21
Comment en est-on arrivé là ?
Pour comprendre la situation actuelle, il faut comprendre les racines historiques du conflit. Le Soudan possède une riche et complexe histoire, caractérisée par des conflits ethniques, religieux et économiques. Située à l’ouest du pays, la région du Darfour a été historiquement marginalisée par le pouvoir central de Khartoum. Des conflits locaux, des sécheresses récurrentes et la désertification amplifient les tensions au Darfour depuis plusieurs décennies. La pression s’est accrue dans les années 1980-1990 : le Darfour commence alors à subir les conséquences des conflits au Tchad voisin, le nombre d’armes en circulation et la violence ethnique augmentent. A cette époque, le gouvernement soudanais, dirigé par Omar el-Béchir après son coup d’Etat en 1989, est accusé de négliger délibérément le développement économique et social du Darfour, ce qui amplifie les frustrations locales.22
Le conflit du Darfour s’aggrave en 2003 : deux groupes rebelles, le Mouvement pour la Justice et l’Egalité (JEM) et le Mouvement/Armée de Libération du Soudan (SLA/M), s’opposent au gouvernement soudanais, qu’ils accusent de marginalisation de la région et de discrimination envers les populations non-arabes de celle-ci.. Le gouvernement réagit rapidement et brutalement, en recourant aux milices Janjawid pour réprimer la rébellion. Principalement composées de nomades arabes, celles-ci sont rapidement accusées de mener une campagne de nettoyage ethnique contre les populations non-arabes du Darfour.
De 2003 à 2004, les violences au Darfour prennent une dimension génocidaire. Le gouvernement soudanais soutient les Janjawid, qui commettent des massacres de masse, des viols systématiques et détruisent des villages. Les atrocités sont qualifiées de génocides par le secrétaire d’Etat américain Colin Powell en 2004, une position appuyée par de nombreuses organisations internationales de défense des droits humains. La situation est décrite comme une crise humanitaire majeure par le Conseil de sécurité de l’ONU, ce qui suscite une attention internationale croissante et des appels à l’intervention.23
En 2007, l’ONU autorise le déploiement de la MINUAD en réponse à la crise. Les soldats de la paix de l’ONU et de l’Union africaine sont censés protéger la sécurité des civils, faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire et soutenir les efforts de médiation pour une résolution politique du conflit. Malgré ces tentatives, la violence persiste et les milices Janjawid continuent d’agir avec une certaine impunité.24
La guerre du Darfour et origine de la RSF
Progressivement, les évolutions politiques au niveau national rendent la situation au Darfour encore plus complexe et plus instable. L’indépendance du Sud-Soudan en 2011 (à l’issue d’une autre guerre civile qui aura duré des décennies ) entraîne une importante baisse des revenus pétroliers du Soudan et aggrave les tensions économiques.
Un soulèvement populaire en 2019 entraîne la destitution d’Omar el-Béchir, ouvrant la voie à une transition politique fragile. Néanmoins, la violence et les conflits ethniques demeurent présents au Darfour .25 La dissolution de la MINUAD en décembre 2020 est un moment décisif. Malgré les promesses du gouvernement soudanais de renforcer la sécurité dans la région, des situations de violence persistent et de nouvelles attaques sont orchestrées. En 2023 et 2024, des combats violents sont rapportés entre les Forces de Soutien Rapide (RSF) et les rebelles.26
.Les RSF sont une milice paramilitaire soudanaise, issue des milices Janjawid26 Elles ont été formées en 2013 et sont dirigées par Mohamed Hamdan Dagalo, plus connu sous le nom d’Hemetti. Leur intégration dans l’appareil de sécurité du Soudan leur a conféré un statut semi-officiel et garanti des ressources et un pouvoir important. Hemetti a par conséquent consolidé sa position au sein de l’appareil de sécurité et les RSF ont pris une position importante dans la politique soudanaise. Outre leur rôle militaire, leur implication dans l’exploitation des ressources naturelles du Soudan, y compris les mines d’or, leur assure des financements supplémentaires et consolide leur influence économique et politique. L’essor des RSF et leur refus de se soumettre à l’armée régulière soudanaise est l’une des causes de l’instabilité politique et de la violence actuelle du Soudan. Leur rôle dans le renversement d’Omar el-Béchir en 2019 et leur position dans le conflit illustrent les tensions profondes entre les différentes factions militaires et leur lutte pour contrôler le pays.27
Conclusion
Le conflit au Soudan, notamment au Darfour, demeure l’une des guerres les plus complexes et les plus destructrices de nos jours. Les racines historiques profondes, les conséquences humanitaires massives, l’exploitation des ressources naturelles qui aggrave les violences, les influences étrangères, ainsi que les obstacles politiques et logistiques entravent les efforts de paix et soulignent l’importance des défis à surmonter. Pour construire un avenir stable et florissant, il est nécessaire d’adopter une approche globale qui inclut une gestion équitable et durable des ressources, la participation des communautés locales et le soutien international aux processus de paix et de réconciliation.
Gaelle Longlune, APNU Jeunes
Bibliographie
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