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Le Secrétaire général s’adresse au Conseil de sécurité sur les liens entre les conflits et la faim

On trouvera, ci-après, le texte du discours du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcé lors de la séance du Conseil de sécurité sur les conflits et la faim, à New York, ce 11 mars 2021:

Je vous remercie de l’occasion qui m’est donnée de m’adresser à vous au sujet des liens entre les conflits et la faim, une question pressante et importante.  Aujourd’hui, le message que je tiens à faire passer est simple: si vous ne nourrissez pas les gens, vous nourrissez les conflits.  Les conflits entraînent la faim et la famine; la faim et la famine conduisent à des conflits.

Les conflits et la faim, lorsqu’ils frappent un pays ou une région, se renforcent mutuellement et ne peuvent être éliminés séparément.  La faim et la pauvreté, associés aux inégalités, aux chocs climatiques, aux tensions confessionnelles et ethniques et aux griefs concernant les terres et les ressources, déclenchent des conflits.

Dans le même temps, les conflits amènent des personnes à quitter leur foyer, leur terre et leur emploi, bouleversent les activités agricoles et les échanges commerciaux et limitent l’accès aux ressources vitales telles que l’eau et l’électricité et entraîne la faim.  Le Comité Nobel a reconnu cette corrélation lorsqu’il a décerné le prix Nobel de la paix au Programme alimentaire mondial: ce puissant appel à l’action fait comprendre que la sécurité alimentaire est essentielle pour instaurer la paix et la stabilité.

Ces dernières décennies, l’amélioration de la productivité et le recul de la pauvreté dans le monde nous ont permis de faire d’énormes progrès en matière de lutte contre la faim.  La famine et la faim ne sont plus une question de manque de nourriture.  Elles sont aujourd’hui en grande partie produites par l’homme – et j’emploie ce terme à dessein.  Elles frappent surtout des pays touchés par des conflits prolongés et de grande envergure.  Et la situation empire.

Fin 2020, plus de 88 millions de personnes souffraient cruellement de la faim en raison des conflits et de l’instabilité – ce chiffre a augmenté de 20% en l’espace d’un an.  D’après les prévisions pour 2021, cette situation effrayante devrait perdurer. Je dois alerter le Conseil: nous devons faire face à de multiples famines entraînées par des conflits dans le monde entier. Les chocs climatiques et la pandémie de maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) attisent le feu.  En l’absence de mesures immédiates, des millions de personnes risquent de basculer dans la faim extrême et de perdre la vie.

D’après les estimations, les crises alimentaires s’accentuent et se propagent dans l’ensemble du Sahel et de la Corne de l’Afrique, et s’installent de plus en plus rapidement au Soudan du Sud, au Yémen et en Afghanistan.  Plus de 30 millions de personnes dans plus d’une trentaine de pays sont au bord de la famine.

Les femmes et les filles doivent faire face à un double danger: elles risquent davantage d’avoir à quitter leur foyer en raison du conflit et elles sont plus vulnérables à la malnutrition, notamment lorsqu’elles sont enceintes ou allaitent. Lorsqu’elles souffrent de la faim, les filles risquent davantage d’être victimes de la traite, de mariage forcé ou d’autres atteintes.  

L’insécurité alimentaire est aggravée par la restriction de l’accès humanitaire.  Je suis profondément préoccupé par la situation au Tigré (Éthiopie), où la saison des récoltes a été perturbée par l’insécurité et la violence et où des centaines de milliers de personnes pourraient souffrir de la faim.

Dans certains pays, la famine est déjà là.  Des gens meurent de faim et souffrent massivement de malnutrition.  Au Yémen, au Soudan du Sud et au Burkina Faso, des régions sont en proie à la famine ou dans une situation proche de la famine.  Plus de 150 000 personnes risquent de mourir de faim.

Au Yémen, cinq années de conflit ont entraîné le déplacement de quatre millions de personnes dans tout le pays.  Un grand nombre de Yéménites sont en danger de mort à mesure que la faim se généralise dans tout le pays.  On estime qu’en 2021, la malnutrition aiguë devrait toucher la moitié des enfants de moins de 5 ans (2,3 millions).  Environ 16 millions de personnes connaissent l’insécurité alimentaire.

Depuis que le Soudan du Sud a déclaré son indépendance il y a 10 ans, l’insécurité alimentaire n’a jamais atteint un niveau aussi élevé qu’aujourd’hui.  Soixante pour cent de la population souffre de plus en plus de la faim.  Les prix des denrées alimentaires sont si élevés qu’une seule assiette de riz et de haricots coûte plus de 180% du salaire journalier moyen, ce qui correspond à environ 400 dollars ici à New York.

Les violences sporadiques persistantes, les phénomènes météorologiques extrêmes et les répercussions économiques de la COVID-19 ont plongé plus de sept millions de personnes dans une insécurité alimentaire sévère.  L’an dernier, la République démocratique du Congo a connu la plus grande crise alimentaire au monde: près de 21,8 millions de personnes ont souffert de faim aiguë entre juillet et décembre.  Les véhicules du Programme alimentaire mondial pris pour cible dans l’est du pays le mois dernier et le meurtre tragique de notre collègue Moustapha Milambo, ainsi que de l’Ambassadeur italien Luca Attanasio et de son officier de sécurité Vittorio Iacovacci, illustrent de la manière la plus brutale qui soit les sombres conséquences de l’association de la faim et des conflits.

Telle est l’effroyable réalité dans les zones de conflit, partout dans le monde.  Il nous incombe de faire tout ce que nous pouvons pour inverser le cours des choses, tout d’abord en prévenant la famine.

En septembre dernier, le Secrétariat a établi un livre blanc qui présente les risques de famine dans quatre pays.  L’urgence de la situation n’a fait que croître.  Les gens souffrent de la faim et perdent la vie bien avant que l’insécurité alimentaire ne soit au plus haut niveau.  Il nous faut prendre les devants et agir maintenant.

J’ai donc décidé de créer un groupe spécial de haut niveau sur la prévention de la famine, qui sera dirigé par le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence, Mark Lowcock.  Ce groupe sera composé de représentants du Programme alimentaire mondiale et de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Il contribuera à ce que la question de la prévention de la famine soit examinée de manière concertée à un haut niveau et à ce qu’une aide soit fournie aux pays les plus touchés.

J’ai en outre demandé à M. Lowcock de s’appuyer autant que nécessaire sur d’autres membres du Comité permanent interorganisations, qui inclut évidemment l’UNICEF, l’Organisation mondiale de la Santé, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, le Programme des Nations Unies pour le développement, le Fonds des Nations Unies pour la population et ONU-Femmes.

Le groupe coopèrera avec les organisations non gouvernementales, des partenaires qui contribuent de manière essentielle à nos côtés à soulager la faim dans le monde.  Il œuvrera également en collaboration avec les institutions financières internationales et d’autres institutions spécialisées des Nations Unies, dont le Fonds international de développement agricole.  J’invite instamment tous les membres du Conseil à soutenir par tous les moyens ce groupe spécial et à mettre tout en œuvre pour prendre des mesures urgentes de prévention de la famine.

Nous devons nous préoccuper avant tout de cette population de plus de 34 millions de personnes déjà aux prises avec une insécurité alimentaire qui a atteint un niveau critique.  Le Programme alimentaire mondial et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture ont lancé un appel à la mobilisation urgente de 5,5 milliards de dollars de ressources extraordinaires afin que ces 34 millions de femmes, d’hommes, de filles et de garçons échappent à une catastrophe.

Ces ressources sont nécessaires à un ensemble de mesures visant à fournir une aide vitale, qui comprend la distribution de nourriture, d’argent en espèces et de bons d’alimentation, l’aide adaptée à l’agriculture et les soins médicaux à ceux qui souffrent déjà de malnutrition aigüe.  Certes, tous les pays rencontrent des difficultés économiques résultant de la pandémie de COVID-19 mais supprimer l’aide aux enfants qui meurent de faim n’est pas la solution.

La manifestation de haut niveau pour les annonces de contributions relatives à la crise humanitaire au Yémen n’a pas répondu à nos attentes, il ne faudrait pas que cela se reproduise.  Je demande à tous les pays de réfléchir à nouveau aux responsabilités et aux capacités qui sont les leurs.  Les sommes relativement modestes qui vont à l’aide humanitaire permettent d’investir non seulement dans la population mais aussi dans la paix.

Les personnes souffrant de faim aiguë doivent pouvoir accéder à la nourriture et à une assistance vitale en toute sécurité, en particulier durant des conflits armés.  Conformément à la résolution 2417 de ce Conseil et sur la base du droit international humanitaire, les biens et les produits indispensables à la survie des populations civiles tels que les denrées alimentaires, les récoltes et le bétail, doivent être protégés dans les conflits.  L’accès humanitaire ne doit pas être entravé et l’utilisation de la famine comme méthode de guerre est interdite.

Malheureusement, nous ne manquons pas d’exemples récents d’utilisation de la famine comme tactique de guerre.  Le conflit en Syrie a soumis des millions de civils à de terribles conditions, ce qui dans certains cas revenait à les réduire à la famine.  En 2017, la famine a été déclarée dans certaines parties du Soudan du Sud, l’accès humanitaire ayant été systématiquement refusé à la population.  Et au Myanmar, des éléments montrent que la faim, due à la destruction des terres agricoles et des villages ainsi qu’aux restrictions de mouvement, a été utilisée contre les Rohingya.

L’utilisation délibérée de la famine comme méthode de guerre constitue un crime de guerre.  J’exhorte les membres du Conseil à agir par tous les moyens pour que les responsables de ces actes atroces soient amenés à rendre des comptes, et à rappeler aux parties aux conflits les obligations qui leur incombent dans le cadre du droit international humanitaire.

Remédier à la faim permet de jeter les bases de la stabilité et de la paix.  Il faut nous attaquer en même temps à la faim et aux conflits si nous voulons régler l’un ou l’autre problème.  Notre plan pour la réduction de la faim est le Programme de développement durable à l’horizon 2030, et en particulier l’objectif 2: Faim zéro.

Nous devons transformer nos systèmes alimentaires pour qu’ils profitent à tous et pour les rendre plus résilients et durables.  Cette question sera au cœur du Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires, que je convoquerai l’année prochaine.

Dans le même temps, pour éliminer la faim nous devons trouver des solutions politiques aux conflits.  J’invite instamment tous les États à faire en sorte que la cessation des conflits, et non pas simplement l’atténuation de leurs effets, soit une priorité majeure de leur politique étrangère.

Je demande aux membres du Conseil d’user de leur position privilégiée pour agir autant qu’ils le pourront en vue de mettre fin à la violence, de négocier la paix et de soulager la faim et les souffrances qui touchent des millions et des millions de personnes dans le monde.

La famine et la privation de nourriture n’ont pas lieu d’être au XXIe siècle.

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