Carte Blanche – La nuance dans le dossier climat reste d’importance capitale
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Oui, chacun de nous porte une responsabilité climatique dans son comportement quotidien.
Oui, l’inaction de l’autre n’est en aucun cas une excuse pour ne pas assumer sa propre responsabilité.
Oui, les pays développés n’ont pas le droit d’être des donneurs de leçon à des pays en plein développement.
Heureusement, une tranche importante de la nouvelle génération chez nous a décidé de vivre bien plus sobrement que les générations précédentes, de renoncer totalement à la voiture, et de ne plus prendre l’avion. Moi aussi j’ai adapté mon comportement, en passant bientôt à une petite voiture électrique et étant devenu végétarien.
Mais devons-nous pour autant soutenir une massive auto-culpabilisation ? Le pendule ne commence-t-il pas à aller trop loin, sans contrepartie suffisante ailleurs dans le monde ?
L’Agence Internationale de l’Energie écrivait en 2023: « The landscape of emissions continues to change. China’s total CO2 emissions exceeded those of the advanced economies combined in 2020, and in 2023 were 15% higher. India surpassed the European Union to become the third largest source of global emissions in 2023. Countries in developing Asia now account for around half of global emissions, up from around two-fifths in 2015 and around onequarter in 2000. China alone accounts for 35% of global CO2 emissions« .
Concentrons-nous un instant sur le charbon. La Chine, malgré des efforts impressionnants sur les renouvelables, émettait en 2023 5,5 milliards de tonnes de CO2 via sa production d’énergie sur base de charbon, un record dans ses statistiques, et dépassant de 6 pct leur précédent record national de 2022.
L’Australie exportait toujours 335 millions de tonnes de charbon en 2022-2023.
En Arabie saoudite, un projet gargantuesque « The Line » est en construction : une ville de 100 miles de long, dans le désert. Elle se veut devenir totalement « eco friendly ». Mais entretemps des experts estiment les émissions liées à son chantier aux dimensions bibliques, à 1,8 gigatonne de CO2 !
Le Qatar a les plus hautes émissions de CO2 pro capita avec 37.6 tonnes par personne, à comparer par exemple avec les 9 tonnes par personne pour la Belgique.
Dubai entame la construction d’un nouvel aéroport international, qui ambitionne de devenir le plus grand du monde avec une capacité de 400 portes d’embarquement et 250 millions de voyageurs par an.
Chez Total Energies, malgré leur engagement de réaliser « net zero emissions » en 2050, les énergies fossiles représentent toujours 98% de leur portefeuille, et ils ont tout récemment annoncé d’augmenter la production fossile sur les cinq ans à venir.
Les exemples sont légion. Le déséquilibre entre la gravité de ces grandes sources d’émission d’un côté, et le fait que les citoyens chez nous se morfondent dans leur culpabilité, ne devient-il pas insupportable ?
Parfois, et j‘insiste vraiment sur ce mot, cette auto-culpabilisation est nourrie par des chiffres alarmants qu’il convient de regarder deux fois plutôt qu’une. Ainsi nous avons lu dans la presse récente que la Belgique serait le 9me pays au monde en termes de pollution CO2 par habitant. Voir l’article DeMorgen.
Je voudrais douter de l’interprétation par le journalise , étant donné que l’on trouve plusieurs classements, où la Belgique est beaucoup plus bas : 34me (2), 41me (3), 38me (4), 23me (5) ; celles-ci sont en plus toutes bien plus récentes que la date trouvée dans le lien : 2019. Il y aurait-il un peu de récupération politique par le biais de certaines statistiques ?
Dans la même veine, j’ai entendu récemment à une conférence climat un orateur connu marteler le fait que l’empreinte écologique de la Belgique, selon l’importante méthodologie du Earth Overshoot Day annuel, si décliné pays par pays, mettait la BE à la 6me place, juste après les USA et les Emirats, et avant l’Australie (6). Mais est-il professionnel de dire cela devant une salle de jeunes, visiblement choqués, sans mentionner que ceci est entre autres le résultat statistique du croisement de notre superficie modeste avec une densité de population très élevée ?
En 1992, la convention cadre sur le changement climatique a été signée à Rio. Elle constitue toujours une vraie constitution pour tous les pays du monde. L’assise la plus importante de cette convention est le principe de la « responsabilité commune mais différenciée », ancrant ainsi une reconnaissance implicite, voire explicite, que les pays développés doivent prendre le « lead » de toute façon. Ce principe a été répété des milliers de fois dans les textes onusiens depuis lors et autant de fois dans les « conclusions climat » des conseil ministériels de l’UE, soit le Conseil des Ministres de l’environnement, soit lé Conseil Européen au niveau des chefs d’état ou de gouvernement.
A la COP climat 20 à Lima en 2014, les Parties ont convenu de nuancer ces « common but differentiated responsibilities » avec l’ajout suivant « and respective capabilities in light of different national circumstances », allusion au fait que certains pays émergents sont devenus capables de réduire leurs émissions de leur propre force !
Une autre réforme, que les citoyens ignorent, est que tous les pays sont depuis 2015 obligés de soumettre et de revoir périodiquement leurs plans nationaux. Ceci est le fruit de la COP Paris en 2015, et oblige tous les 193 pays membre des nations unies de soumettre un tel plan détaillé, et de le revoir tous les cinq ans. Il n’est donc plus du tout injuste de pointer vers une responsabilité de TOUS les pays ! Et il est inversement inapproprié d’auto-culpabiliser les jeunes chez nous sur base de notre rôle prépondérant dans tout le problème climatique.
Autant il est inacceptable de fuir nos responsabilités en pointant d’autres pays du doigt, autant il est dangereux de passer le nouveau déséquilibre sous silence : ceci mène à une inefficacité du système mondial et à du ‘climate despair’ chez nous. Et autant il est inacceptable de fausser les données pour camoufler des émissions, autant il est dangereux de mal présenter les statistiques dans l’autre sens.
Hélas, les gouvernements des pays développés seraient mal avisés s’ils critiquaient publiquement les gouvernements de ces freeriders. Cela menacerait clairement les négociations futures. Que faire alors ? Bien sûr il faut continuer avec vigueur les négociations annuelles sur les règles climat dans les COP. Bien sûr il faut une bien plus haute priorité pour le dossier climat dans CHAQUE négociation bilatérale entre pays, et dans CHAQUE négociation bi-régionale, notamment commerciale. Et je vous invite vivement à lire le très puissant discours, de ce mois-ci, du Secrétaire Général des Nations Unies (7).
Mais ici je voudrais surtout souligner l’idée qu’il faudrait un nouvel homme d’état, un philosophe venant des pays émergents et non pas du ‘Nord’, un homme visionnaire, qui aurait l’autorité de dire ce que nous n’avons plus droit de leur dire: « Nous pays émergents, nous aussi avons une responsabilité colossale. » Un nouveau Ghandhi devrait se lever se , qui dirait, comme lui jadis « The earth provides enough to satisfy every man’s needs, but not every man’s greed » !
Mr. Chris Vanden Bilcke, membre APNU
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Comme le suggère l’auteur, ne manquez pas le puissant discours du Secrétaire général de l’ONU à l’occasion de la journée mondiale de l’environnement le 5 juin.
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A propos de l’auteur
Pour cette édition c’est un membre de l’ APNU, Chris Vanden Bilcke, Conseiller honoraire, membre du chapitre UE du Club de Rome, qui nous propose une carte blanche sur la nécessité de trouver un équilibre dans les responsabilités climatiques.
Chris Vanden Bilcke a également été chef de la direction du développement durable et du changement climatique, au SPF Affaires étrangères et Représentant du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) à Bruxelles.