Suspension des financements américains : quelles conséquences sur les activités de l’ONU ?
Suspension des financements américains : quelles conséquences sur les activités de l’ONU ?
Le début de l’année 2025 pour les Nations Unies a été marqué par la décision de la nouvelle administration américaine de suspendre toute forme d’aide au développement et humanitaire. Le 20 janvier 2025, l’administration de Donald Trump annonçait sur le site web de la Maison-Blanche la suspension temporaire pour 90 jours de l’aide extérieure y compris celle destinée aux organisations internationales, afin d’évaluer l’efficacité des programmes. Le 10 mars 2025 l’administration Trump a fermé plus de 80% des programmes de l’Agence américaine pour le développement international (USAID). Par conséquent, l’administration Trump a réduit les contributions volontaires, à travers lesquelles les Etats-Unis finançaient des agences spécialisées onusiennes. Cette décision, faisant partie de la politique de désengagement multilatéral initiée durant le premier mandat de Donald Trump, aura un impact significatif sur les programmes humanitaires et de développement de l’ONU.
Il est toutefois important de distinguer deux types de contributions : obligatoires et volontaires. Les premières servent à financer le budget ordinaire des Nations Unies, ainsi que les opérations de maintien de la paix. Elles sont calculées en fonction de la capacité de paiement des pays-membres, principalement basée sur leur produit national brut (PNB), et doivent être versées annuellement. Elles ne sont pas transférées par des canaux comme USAID, et ne sont donc pas directement affectées par les ajustements du financement américain. En revanche, les programmes humanitaires et de développement de l’ONU sont financés principalement par les contributions volontaires provenant de divers partenaires, notamment les gouvernements des États membres, les partenaires multilatéraux comme l’UE, et d’autres financements non-étatiques. Des agences telles que le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et le Programme alimentaire mondial (PAM) peuvent être significativement impactées par de tels ajustements. En outre, les agences spécialisées des Nations Unies, telle que l’Organisation de la Santé (OMS) ou l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), sont indépendantes de l’ONU sur le plan juridique, tout en faisant partie du système onusien. Elles dépendent également fortement des financements volontaires.
L’USAID a été créée en 1961 à l’initiative du Président John F. Kennedy pour centraliser l’aide extérieure non militaire américaine vue comme un instrument clé du soft power des Etats-Unis. Son but était de soutenir politiquement et économiquement les pays en développement, reconnaissant le lien entre la sécurité américaine et la stabilité mondiale. Depuis lors, l’USAID était un partenaire régulier des agences humanitaires et de développement de l’ONU et avait souscrit aux Objectifs de Développement Durable (ODD). En 2023, les Etats-Unis ont fourni une aide à 177 pays et 29 régions et également financé des initiatives mondiales.
Cette aide a soutenu divers programmes mis en œuvre par des gouvernements étrangers, des organisations à but non lucratif, des organisations internationales, des entreprises privées et des universités. L’Ukraine a reçu la plus grande part de cette aide au cours de l’exercice 2023, avec un total de 16,6 milliards de dollars, principalement sous forme de soutien budgétaire direct au gouvernement ukrainien pour assurer la continuité des opérations, la fourniture des services essentiels et la reconstruction. Parmi les autres bénéficiaires importants figuraient l’Éthiopie, la Jordanie, l’Égypte et l’Afghanistan.
L’implication des Etats-Unis dans l’aide internationale se manifestait également par une collaboration directe entre l’USAID et plusieurs agences des Nations Unies, comme le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) sur la réduction de la pauvreté, la prévention des crises, la protection environnementale et la bonne gouvernance. USAID participait aussi au financement du Programme Alimentaire Mondial (PAM), des Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), du Bureau des Nations Unies pour les services d’appui aux projets (UNOPS) et de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
De plus, depuis 2010 les Etats-Unis ont été le plus grand contributeur au système de l’ONU, grâce à leur niveau de PNB supérieur, qui est l’un des plus élevés parmi les pays membres. Selon le rapport présenté au Congrès américain sur les contributions du pays aux organisations internationales en 2023, les contributions volontaires des États-Unis aux agences spécialisées se sont montées à 9,13 milliards de dollars destinés à l’UNICEF, au HCR, à l’UNRWA, à l’OMS, au Haut Commissariat pour les Droits de l’Homme ( OHCHR) et à l’Organisation internationale pour les Migrations (OIM).
Le 3 février 2025, le président Donald Trump a annoncé la réévaluation de l’engagement des États-Unis envers le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, l’UNESCO et l’UNRWA. Washington estime que certains fonds, programmes ou agences de l’ONU agissent au-delà du mandat qui leur a été donné par les États membres et agissent contre les intérêts des Etats-Unis particulièrement. De plus, les Etats-Unis, sous l’administration de Trump, ont rejeté officiellement des ODD, jugés trop “mondialistes”. Il est pourtant très probable que la décision de l’administration Trump affectera durement les populations fortement dépendantes de l’aide internationale et entraînera un déclin d’influence mondial des Etats-Unis.
Toutefois, le secrétaire d’État, Marco Rubio, a affirmé que la suspension du financement international n’affectera pas les médicaments essentiels, les services médicaux, la nourriture, le logement, l’aide à la subsistance et les fournitures. La suspension de l’aide internationale a été décidée afin de vérifier la conformité avec les idéologies et les valeurs des États-Unis. Elle vise des programmes d’aide impliquant l’avortement, la planification familiale ou la promotion de « l’idéologie du genre ».
Pour sa part, le Secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a exprimé des inquiétudes sur les risques que la réduction du financement de ces programmes fait peser sur la lutte contre le VIH/SIDA, la tuberculose, le paludisme, le choléra, ainsi que sur les programmes de lutte contre les stupéfiants et la traite des êtres humains. La clôture de nombreux programmes de l’USAID risque de compromettre le projet de l’ONU d’éliminer complètement la tuberculose d’ici 2030.
Jens Laerke, porte-parole de OCHA, a indiqué que le soutien financier américain en 2024 représentait 47% du montant de l’apport humanitaire mondial. Selon Antonio Guterres, les coupes budgétaires américaines rendront le monde « moins sain, moins sûr et moins prospère ». L’administration Trump a également informé les Nations Unies de la suspension du financement du Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), une agence des Nations Unies responsable de la santé sexuelle et reproductive soutenant plus de 100 États membres de l’ONU.
Cette décision constitue une menace significative pour les femmes et les filles en situation de crise, notamment en Asie du Sud, qui dépendent des services essentiels du FNUAP. En Afghanistan, l’absence du soutien financier américain risque d’augmenter le nombre des grossesses non désirées et la mortalité maternelle, tout en privant des millions de personnes des services de santé et de la protection sociale. Cette crise du financement touche directement les équipes médicales mobiles et les centres de conseil. Au Pakistan, des millions de personnes, dont des nombreux réfugiés afghans, risquent de perdre l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive. De même, au Bangladesh, les réfugiés rohingyas et d’autres populations vulnérables pourraient se retrouver sans accès aux soins maternels et reproductifs.
En réponse aux décisions de l’administration Trump, certaines grandes fondations philanthropiques américaines ont décidé d’augmenter fortement leurs financements à des programmes des Nations Unies, mais elles ne seront pas en mesure de compenser l’aide officielle américaine. Quant aux gouvernements européens, ils font face à de fortes contraintes budgétaires suite à l’augmentation de leurs budgets militaires et des dépenses supplémentaires résultant de leur aide à l’Ukraine, réduisant en conséquence leurs budgets d’aide au développement.
Par ailleurs, certains experts africains ont vu dans le changement de politique américaine une opportunité pour les pays en développement d’atteindre l’autosuffisance en matière de financement et de prise de décision, par exemple dans le domaine de la santé. Un appel à modifier le discours sur l’aide est également apparu, plaidant pour qu’elle soit considérée comme une forme de répartition plutôt comme une œuvre de charité.
Malgré les nouvelles dévastatrices, le Secrétaire Général des Nations Unies, a rappelé le rôle crucial joué par les Etats-Unis en matière d’aide humanitaire au cours des dernières décennies, grâce à laquelle plus de 100 millions de personnes en Afrique, en Asie-Pacifique, au Moyen-Orient, dans les Amériques et en Europe bénéficient chaque année de l’aide humanitaire de l’ONU. En s’adressant au gouvernement américain lors de la conclusion de son discours, Antonio Guterres a appelé l’administration Trump à reconsidérer ces coupes budgétaires sévères.
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Mariia-Kristina Olkhovska, APNU Jeunes