Conflit Israël-Hamas : le rôle de la justice internationale
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Pour mémoire, le 29 décembre 2023, l’Afrique du Sud déposait devant la Cour Internationale de Justice une requête introductive d’instance contre Israël au sujet de manquements allégués de cet État aux obligations qui lui incombent au regard de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (la « convention sur le génocide ») en ce qui concerne les Palestiniens dans la bande de Gaza. La requête contenait également une demande en indication de mesures conservatoires.
La Cour ne s’est prononcée jusqu’à présent que sur des mesures conservatoires, et non sur le fond. Elle a rendu jusqu’à présent deux ordonnances en mesures conservatoires répondant aux demandes successives de l’Afrique du Sud. La première (26 janvier 2024) demandait notamment à Israël de prévenir tout acte de génocide ou incitation au génocide, non seulement de la part de l’armée israélienne, mais d’organisations ou d’individus, d’empêcher la destruction des preuves et de donner accès aux missions d’’établissement des faits. La seconde (28 mars 2024) enjoignait à Israël de garantir l’accès humanitaire au bénéfice des habitants de Gaza.
Nouveaux développements
L’Afrique du Sud a introduit le 10 mai une requête en vue de nouvelles mesures conservatoires, à la suite de l’offensive israélienne sur Rafah.
L’Egypte – qui a signé un accord de paix avec Israël et joue un rôle important dans les négociations pour un cessez-le-feu et la libération des otages – a, pour sa part, annoncé le 12 mai qu’elle se joindrait à l’action de l’Afrique du Sud devant la Cour, en raison de l’ampleur de l’intensification des opérations militaires israéliennes à Gaza et de leurs conséquences pour les civils.
Le 24 mai : La Cour Internationale de Justice, estimant que les conditions humanitaires se sont considérablement dégradées à Rafah, et que les mesures prises pour la protection des civils sont très insuffisantes, ordonne à Israël de nouvelles mesures conservatoires: notamment de mettre fin à son offensive dans cette partie de la bande de Gaza, de permettre l’acheminement de l’aide humanitaire et l’acces des enquêteurs de l’ ONU à toute l’ enclave.
Cette décision est juridiquement contraignante, mais la Cour ne dispose d’aucun moyen pour la faire exécuter. Mais, en cas de non-respect de l’ordonnance, Israël pourrait s’exposer à des sanctions de certains pays occidentaux.
Les juges appellent aussi le Hamas à libérer les otages détenus à Gaza.
Par ailleurs, le Procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI), le Britannique Karim Khan, a demandé, le 20 mai 2024, que soient délivrés des mandats d’arrêt d’une part contre 3 dirigeants du Hamas (Yahya Sinwar, chef du Hamas à Gaza, Mohammed Al-Masri, commandant en chef de la branche armée et Ismail Hanyeh, chef politique), accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité et d’autre part contre le Premier Ministre israélien Benyamin Netanyahu et contre son Ministre de la Défense Yoav Gallant, accusés également de crimes de guerre et contre l’ humanité. Il revient désormais aux juges de la Chambre préliminaire de la CPI de se prononcer.
Chefs d’accusation et éléments de preuve
Le bureau du procureur général a missionné un panel de huit experts juridiques indépendants pour vérifier si les éléments de preuve recueillis étaient suffisamment solides pour soutenir l’accusation.
Plus précisément: les accusations portées contre les dirigeants du Hamas incluent « l’extermination », « le viol et d’autres formes de violence sexuelle« et « la prise d’otages en tant que crime de guerre . L’accusation s’appuie sur une documentation importante, les combattants du Hamas ayant filmé l’attaque du 7 octobre et revendiqué la prise d’otages, éléments repris dans divers rapports d’enquête.
Quant à Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant, ils sont visés pour « le fait d’affamer délibérément des civils », « homicide intentionnel » et « extermination et/ou meurtre ». L’accusation s’appuie sur leurs propres déclarations concernant le blocage de l’aide humanitaire, sur les rapports des ONG et de l’ONU qui alertent sur le risque de famine à Gaza. Pour établir l’intention de tuer délibérément des civils, le Procureur se réfère aux stratégies militaires mises en œuvre à Gaza.
Les conséquences
Les Etats-Unis et Israël qui ne sont pas parties au Statut de Rome – le traité international qui a créé la CPI – ont réagi très négativement à l’annonce du Procureur. Washington rejette « toute équivalence entre Hamas et Israël », et déclare craindre un effet négatif de cette annonce sur les négociations en cours.
Ni Israël, ni les Etats-Unis ne sont tenus de coopérer sur le plan judiciaire avec la Cour. Cependant une fois lancé le mandat d’arrêt de la CPI, Mr Netanyahu risque une arrestation dans tout Etat Partie où il se rendrait. La charge symbolique est forte également qui contribuerait à l’isoler sur la scène politique israélienne et mondiale. En effet si les juges de la CPI accédaient à la demande du procureur général, Benjamin Netanyahu rejoindrait Vladimir Poutine, Omar el-Bechir ou encore le défunt dictateur libyen Mouammar Kadhafi, des personnalités peu fréquentables visées par le tribunal.
Christine Van Nieuwenhuyse – Vice-présidente APNU