Retrait progressif de la MONUSCO : du chemin parcouru aux perspectives d’avenir du maintien de la paix en Afrique (centrale)
Les élections de 2024 en République Démocratique du Congo et la Coupe d’Afrique des Nations ont vu revenir sous la lumière des projecteurs l’état de la situation sécuritaire et humanitaire dans l’est du pays, notamment au Nord-Kivu, et ont pris place dans un contexte de mécontentement croissant de la population à l’égard du manque d’efficacité des forces de maintien de la paix. Ce ressentiment, particulièrement tourné vers la MONUSCO depuis plusieurs années, s’est taillé une place dans l’agenda politique des autorités de la RDC dans leur dialogue avec les Nations Unies. Cela a mené à la mise en place d’une stratégie conjointe visant au retrait progressif de la Mission, dont les principaux vecteurs furent validés par le Conseil de Sécurité le 26 octobre 2020. Pour comprendre quels ont été les moteurs de cette dynamique, il convient d’examiner la genèse de cette mission et les processus de transformation ayant donné ses différents avatars jusqu’à devenir la mission de maintien de la paix la plus importante de l’Histoire.
- Historique
La deuxième guerre du Congo prend fin en 1999, à la suite de l’Accord de cessez-le-feu de Lusaka signé entre la RDC et l’Angola, la Namibie, l’Ouganda, le Zimbabwe, et le Rwanda. Pour en suivre l’application, 90 membres du personnel de l’ONU sont mandatés par la Résolution 1258 du CS et envoyés dans ces différents pays pour suivre l’évolution de la situation sur le terrain, et mettre en place les modalités d’application de l’Accord, par les parties.[1] Cependant, préoccupé par les violations de l’Accord et par la dégradation de la situation humanitaire, le CS vote la résolution 1279 qui constitue la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC).[2] Son mandat s’en tient alors à l’observation de l’application du cessez-le-feu et à des tâches de liaison avec les parties de l’Accord. La mission se compose ainsi de 500 observateurs militaires ainsi que d’une équipe pluridisciplinaire dans les domaines des droits de l’homme, des affaires humanitaires, de l’information, du soutien médical, et de la protection des enfants. Son mandat progressivement étendu, elle atteint plusieurs milliers de membres en 2000 et devient une force d’interposition et de maintien de la paix comptant plus de 5000 militaires en uniforme.
Point important, la Mission est également mandatée pour contribuer à faciliter le dialogue inter-congolais, dans un contexte où les belligérants des années 2000 sont maintenant des groupes armés, parfois soutenus par l’extérieur et agissant dans l’Est du pays. Un Accord global et inclusif, signé le 16 décembre 2002 entre le gouvernement, et les groupes armés rebelles du Mouvement de libération du Congo (MLC), du Rassemblement congolais pour la démocratie / Mouvement de libération (RCD/ML), du Rassemblement des Congolais pour la libération nationale (RCD/N), et les milices d’autodéfense des Maï-Maï. L’accord prévoit également la mise sur pied du Comité International d’Accompagnement de la Transition (CIAT), composé entre autres des membres permanents du CS et d’autres états dont la Belgique, lequel est chargé de suivre et d’épauler la transition démocratique en RDC. Ce processus, également facilité par l’Union Africaine et les Nations Unies, permet la mise en place d’un gouvernement de transition en 2003 qui, accompagné par la MONUC, met en œuvre le référendum constitutionnel de 2005.
Suivant cela, les résolutions 1856 [3] en 2008 et 1906 [4] en 2009 ont établi le mandat de la MONUC, d’une part vers la protection des civils et d’autre part vers celle du personnel ONU ; le désarmement et la démobilisation des groupes armés étrangers et congolais et la surveillance des moyens dont ils disposent ; la formation et l’accompagnement des Forces Armées de la RDC (FARDC) à l’appui de la réforme du secteur de la sécurité ; et la sécurité du territoire de la République Démocratique du Congo. La Mission compte alors près de 20 000 militaires.
Cette réaffirmation sur la protection et la nécessité de prolonger le mandat vers la stabilisation de la région répond à deux enjeux opérationnel et politique majeurs. Premièrement, la dégradation de la situation sécuritaire en 2007, suite à l’insurrection du groupe armé Congrès pour la Défense du Peuple, soutenu par le Rwanda et mené par Laurent Nkunda qui conduira son offensive jusqu’à Goma, entraine un cycle de négociations bilatérales et de pression internationale qui aboutiront aux Accords de Goma le 23 mars 2009, faisant du CNDP un parti politique et réintégrant ses éléments aux FARDC. Deuxièmement, la tutelle du CIAT suscite une gêne au sein des autorités politiques de Kinshasa à partir de 2005, qui le considèrent comme trop intrusif dans leurs affaires. [5]
En réponse à ces enjeux, le Conseil de Sécurité vote la Résoution 1925 [6] le 28 mai 2010 qui non seulement prolonge le mandat de la Mission, mais transforme celle-ci en Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), consacrant ainsi l’objectif de stabilisation et de consolidation de la paix dans la région.
- Innovations tactiques et changement de doctrine
Des moyens relativement nouveaux pour l’époque furent mis en place pour améliorer le processus de paix. Ainsi, la Résolution 1201 en 2000 donna naissance à la Radio Okapi, qui fut le principal organe de diffusion, de vulgarisation du travail de la mission, et de sensibilisation sur le processus politique auprès de la population congolaise. Se donnant dans les 4 langues nationales, elle devint le principal outil contre la désinformation et toucha la quasi-totalité de la RDC, participant dans le même temps à l’unification du pays, toujours dans un cadre de dialogue inter-congolais pour lequel la Mission était mandatée.
Sur le plan militaire, des modifications dans la chaine de commandement ont permis des interventions plus efficaces ainsi qu’un recours facilité à la force selon la situation sur le terrain, grâce à la mise en place en 2005 d’un commandement opérationnel local, et de nouvelles règles d’engagement, comprenant aussi la mise à disposition de forces spéciales en 2006.
En 2012, éclate une importante crise sécuritaire, causée d’une part par la mutinerie d’anciens membres du CNDP, et d’autre part par les affrontements entre les FARDC et le Mouvement du 23 Mars (M23), soutenu par le Rwanda. Une fois encore, les négociations bilatérales et la pression internationale permettent de faire signer à Addis-Abeba en février 2013 le fameux Accord-Cadre pour la Paix, la Sécurité et la Coopération pour la République Démocratique du Congo. Afin de soutenir la mise en application de l’Accord, la Résolution 2098 proroge le mandat de la MONUSCO et la dote d’une Brigade d’Intervention, spécifiquement destinée à la neutralisation des groupes armés, lui donnant donc un caractère plus offensif. [7] Déployée à titre exceptionnel, elle ne devait ni créer de précédent ni porter préjudice aux principes du maintien de la paix, alors que certains états craignaient que la Mission ne se transforme en force « d’imposition de la paix ». [8] Composée en majorité par trois pays de la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC), elle battit le M23 aux côtés des FARDC en novembre 2013.
- Moteurs du retrait
Alors que le mandat de la MONUSCO continue d’être prorogé dans les années suivantes, les années 2017 et 2018 marquent un tournant, d’abord par une réduction des effectifs militaires de 3600 hommes dans la résolution 2348, mais surtout par la demande du Conseil de Sécurité au Secrétaire Général d’élaborer une stratégie de retrait échelonnée, progressive et exhaustive en collaboration avec les autorités de la RDC et les autres parties prenantes concernées, afin de favoriser la prise en main des opérations par Kinshasa. De plus, le pays assiste à la résurgence du M23, qui présumément toujours soutenu par le Rwanda, a depuis considérablement augmenté ses capacités technologiques et sa puissance de feu. Alors que l’Accord-Cadre prône encore aujourd’hui un rapprochement entre la RDC, l’Ouganda et le Rwanda, les autorités du dernier se seraient senties indisposées par le processus de coopération économique, sécuritaire grandissant (et exclusif) entre les deux autres. Il est utile de rappeler que l’enjeu de la rivalité géopolitique dans la région est l’influence pour la captation du transit des flux de minerais présents dans les sols congolais. Ainsi, en juin 2022, la représentante spéciale du Secrétaire Général en RDC et cheffe de la MONUSCO Bintou Keita a déclaré devant le Conseil de Sécurité que la Mission ferait bientôt face à une menace qui outrepasse ses capacités, si la coordination des attaques du M23 devait se poursuivre avec la même intensité. [9]
Cette déclaration, couplée à celles du porte-parole des Nations Unies en RDC, Mathias Gillmann, qui faisait aveu de l’impuissance de la Mission face à cette nouvelle menace et de son implication potentielle pour les autres régions, provoqua la colère de certains hommes politiques congolais qui demandaient son retrait prématuré. Le gouvernement de Félix Tshisekedi réclama l’expulsion de Gillmann. Cela entraina également un cycle de violences dans la région débouchant sur de graves incidents. Des manifestations organisées dans plusieurs villes de l’Est de la RDC demandant le départ de la MONUSCO, ainsi que des attaques contre son personnel, firent en une semaine 36 morts, dont 4 casques bleus. Des membres de la Brigade d’Intervention tuèrent également deux personnes lors d’un incident à un poste-frontière. Une fracture entre la MONUSCO et plusieurs couches de la société, incluant une partie de la classe politique, de la société civile, et de la population, apparut plus nette que jamais, bien que l’opinion publique ne soit pas unanime quant au futur à donner à la Mission.
Un plan de désengagement en trois phases fut élaboré par les équipes techniques de la MONUSCO et du Gouvernement congolais entre les mois d’Octobre et de Novembre 2023. La note relative au retrait accéléré de la Mission, contenant son plan, son chronogramme, ainsi qu’un mécanisme d’évaluation trimestrielle, fut signée par Mme Keita et le Gouvernement le 22 Novembre. [10]
Finalement, le Conseil de Sécurité vota à l’unanimité la Résolution 2717 le 19 décembre 2023, qui proroge le mandat de la MONUSCO pour un an, en décidant que sa force soit retirée du Sud-Kivu d’ici Mai 2024, et du Nord-Kivu et de l’Ituri d’ici la fin du mandat, tout en autorisant la MONUSCO à « maintenir une présence civile résiduelle suffisante dans le Sud-Kivu afin d’organiser son retrait ordonné de cette province et un transfert harmonieux et responsable de ses tâches aux autorités congolaises ». La Résolution donne toutefois la priorité à la protection des civils, tout en maintenant son caractère offensif. [11] En février 2024, le Secrétaire général adjoint des Nations Unies aux opérations de paix, Jean-Pierre Lacroix, et sa délégation se sont rendus à Bukavu pour y rencontrer le gouverneur de la province du Sud-Kivu ainsi que le les membres du Bureau de Coordination de la Société Civile et le personnel de la MONUSCO. Ils y ont abordé le transfert des tâches, en soulignant la nécessité de l’assurer de manière réussie, fluide, collaborative, afin que les acquis soient consolidés. Le Président du Bureau de coordination de la société civile du Sud-Kivu a émis plusieurs recommandations, y compris « que le Conseil de sécurité prenne des mesures draconiennes et préventives concrètes à l’encontre des agresseurs de la République démocratique du Congo et de leurs acolytes visibles et que ceux qui agissent dans l’ombre ne profitent pas du désengagement de la Mission pour déclencher des conflits qui pourraient embraser toute la région ». [12]
- Les perspectives d’avenir du maintien de la paix en Afrique
Le retrait de la MONUSCO s’inscrit dans une tendance générale qui pousse à repenser les avatars que peut désormais prendre l’action des Nations Unies en matière de maintien de la paix. Sans spéculer sur les différentes hypothèses, il est possible de relever un début de piste. Tout d’abord, le retrait de l’opération des Nations Unies la plus chère (pour 1,5 milliard de dollars annuels descendus à 1 milliard en 2023), va libérer des fonds qui permettront au Conseil de Sécurité de se pencher sur d’autres zones géographiques ou types d’intervention. Ainsi le 21 décembre 2023, soit deux jours après la Résolution 2717, le Conseil a voté la Résolution 2719 établissant les bases d’un cadre qui lui permet de financer les opérations de maintien de la paix de l’Union Africaine à hauteur de 75%. [13] Ces opérations seraient financées à condition qu’elles fassent l’objet d’une évaluation stratégique et d’un plan détaillé conjoints entre le Conseil de Paix et de Sécurité de l’UA et les Nations Unies. La résolution exige également la conformité à toutes les réglementations financières de l’ONU, ainsi qu’à une série de politiques en matière de droits de l’homme, de discipline des troupes, de protection des civils et d’inclusion des femmes. Enfin, toutes les missions de l’UA financées par l’ONU doivent faire partie d’une stratégie politique impliquant l’organisme continental, l’ONU et d’autres partenaires. [14] En d’autres termes, chaque mission n’aura lieu qu’avec l’autorisation du Conseil de Sécurité.
L’avantage de ce partenariat est que l’UA dispose de la légitimité permettant une appropriation régionale du processus de maintien de la paix, ce qui a souvent été le moteur du ressentiment à l’égard de la MONUSCO et d’autres missions. Cependant, certains états africains y voient une atteinte à l’autonomie stratégique de l’UA, ce qui a constitué un frein lors des négociations. Il est utile de mentionner que cet accord ne fut pas négocié entre les Nations Unies et le CPS de l’UA, mais bien au sein du Conseil de Sécurité lui-même, entre l’A3 (les états africains du Conseil) et les autres membres. En fin de compte, si ce cadre est bien une avancée politique majeure, il ne réglera pas les tensions systémiques entre l’UA et l’ONU en matière de primauté de l’institution et de coordination. [15] Il reste à voir dans quelle mesure le fameux Sommet de l’Avenir des Nations Unies, qui se tiendra à New-York en septembre 2024, pourra renforcer ce signal politique dans un contexte plus large de redéfinition du paradigme du maintien de la paix.
- Conclusion
Avec des résultats mitigés, la MONUSCO a malgré tout permis un effet stabilisateu, dont la cessation risque de provoquer un vide sécuritaire. Il est à souligner que ses innovations, son budget, et le fait que son mandat ait été prorogé pendant 20 ans de manière unanime par le Conseil de Sécurité sont le reflet du volontarisme de ses parties prenantes. Son retrait s’inscrit dans un sentiment général de réappropriation et de volonté d’indépendance des états africains dans le gestion de la situation sécuritaire. Cependant, il reste à voir si ses alternatives résisteront aux demandes croissantes de refonte d’un multilatéralisme considéré par une large partie du monde comme de plus en plus dépassé.
Quentin Moussebois – APNU Jeunes
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[1] S/RES/1258
[2] S/RES/1279
[3] S/RES/1856
[4] S/RES/1906
[6] S/RES/1925
[8] CS/10964
[10] UN Mission – MONUSCO
[11] S/RES/2717
[12] UN News
[13] S/RES/2719
[14] Crisis Group
[15] Crisis Group