Josep Borrell : « Nous avons plus que jamais besoin de l’ONU »
À l’occasion de l’Assemblée générale des Nations unies, Josep Borrell, Haut Représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la sécurité, Vice-Président de la Commission Européenne, lance un appel à revitaliser le multilatéralisme dans une tribune parue dans l’Obs le 25 septembre.
« En temps normal, je me trouverais actuellement à New York pour l’Assemblée générale annuelle des Nations unies (AGNU), qui s’achève ce samedi. C’est l’événement qui concentre le plus grand nombre de décideurs politiques mondiaux en un seul lieu et le temps fort du calendrier diplomatique. Mais cette année est loin d’être normale, et la « semaine de l’Assemblée générale des Nations unies » se tient de façon virtuelle, les débats se déroulant en ligne, exercice auquel nous avons tous été rompus ces derniers mois.
C’est regrettable pour plusieurs raisons. L’ONU célèbre cette année son 75e anniversaire, et l’on aurait souhaité meilleure façon de marquer un tel anniversaire. En outre, dans l’état actuel du monde le système multilatéral, dont les Nations unies constituent le cœur, est plus contesté que jamais. Juste au moment pourtant où nous en avons le plus besoin.
En effet, jamais l’offre de solutions multilatérales n’a été si limitée, et la demande si forte. Chaque jour nous montre à quel point le nationalisme étroit et les rivalités stratégiques, en particulier celle qui oppose les États-Unis et la Chine, paralysent le Conseil de sécurité des Nations unies et, plus largement, l’ensemble du système international. Depuis le changement climatique et la maîtrise des armements jusqu’à la sécurité maritime en passant par les droits humains, et au-delà, la coopération mondiale est affaiblie, les accords internationaux abandonnés et le droit international mis à mal ou appliqué de manière très sélective.
Pour les Européens, cet état de fait est profondément préoccupant. Mais la crise actuelle du multilatéralisme est un problème qui ne concerne pas uniquement les Européens : ce sont la sécurité et les droits de tous qui sont menacés. Certes, des formules telles que le « système multilatéral » et l’« ordre international fondé sur des règles » peuvent sembler vagues et ne sonnent pas autant que « America first » ou « Take back control ». Mais elles représentent quelque chose de très concret et bien réel : le choix entre la paix et la guerre, entre des sociétés ouvertes et fermées, ou encore entre une économie fondée sur le développement durable et une économie qui contribue au creusement des inégalités et à un changement climatique incontrôlable.
Un monde régi par des règles définies d’un commun accord constitue la base même de notre sécurité, de nos libertés et de notre prospérité. Un ordre international fondé sur des règles rend les États plus sûrs, préserve la liberté des citoyens, incite les entreprises à investir et permet de protéger l’environnement. L’alternative – « la loi du plus fort » – a été mise en œuvre durant la plus grande partie de l’histoire de l’humanité, et son terrible bilan est le meilleur argument en faveur d’un système multilatéral. Malheureusement, on y recourt à nouveau de plus en plus souvent, avec les résultats que chacun peut constater.
Le vaccin, un bien public mondial
Telle n’est pas l’approche de l’UE. Nous continuerons à croire dans les Nations unies et à les soutenir. Et ce pas uniquement dans les discours : nous les soutenons également sur les plans politique et financier, ainsi que sur le terrain diplomatique, en essayant de jouer un rôle de passerelle au sein du Conseil de sécurité.
Tandis que d’autres tentaient de démanteler l’Organisation mondiale de la santé au plus fort de la pandémie de COVID-19, c’est l’UE qui a mené les négociations qui ont abouti à un accord en faveur d’une enquête indépendante sur les origines du coronavirus. Nous sommes en outre le principal donateur pour le mécanisme en faveur d’un accès mondial aux vaccins contre la COVID-19 (COVAX), mis en place afin que le monde entier puisse obtenir un vaccin fiable le plus vite possible et que celui-ci soit traité comme un bien public mondial.
L’UE contribue à hauteur du quart du budget des Nations unies. On dit souvent que l’Europe ne pèse pas de tout son poids géopolitique. Mais, en termes d’engagement multilatéral, elle finance bien au-delà de son poids.
Dans nos opérations de gestion de crise, nous agissons main dans la main avec les Nations unies en matière de stabilisation et de reconstruction dans de nombreuses zones de conflit, du Sahel à la Corne de l’Afrique, des Balkans au Proche-Orient. Dans les pires zones de guerre et les plus grandes crises humanitaires, l’UE et les Nations unies œuvrent de concert.
Les Européens se sont battus aussi pour obtenir un accord international sur le climat, et nous faisons de notre mieux pour le préserver. Nous nous employons sans relâche à protéger la biodiversité, l’accès à l’eau potable ainsi que les autres ressources naturelles.
Pour nous, ces contributions sont des investissements dans la sécurité et la prospérité au niveau mondial, et, partant, dans notre propre sécurité et notre propre prospérité. Nous savons que notre sécurité et notre santé ne peuvent être assurées que si celles de nos voisins le sont également. Ce qui vaut pour les personnes vaut aussi pour les pays.
Revitaliser le système
Même si nous faisons face à de forts vents contraires, l’UE gardera le cap pour trouver des solutions communes. Cela s’avère souvent difficile et éprouvant, mais nous sommes toujours prêts à discuter des moyens de rendre le système multilatéral plus efficace, plus légitime et plus adapté aux enjeux, tant avec les partenaires qui partagent les mêmes valeurs que nous qu’avec ceux avec lesquels nous sommes en désaccord. Le multilatéralisme d’aujourd’hui doit être différent de celui du vingtième siècle : les rapports de force ont évolué et les défis ne sont plus les mêmes.
Une grande partie de ce qui façonnera notre avenir, qu’il s’agisse de la gestion des données dans le cyberespace, de l’intelligence artificielle, de la biogénétique, des véhicules autonomes, et de bien d’autres choses encore, se déploie dans un grand vide réglementaire. Nous devons combler ce dernier par la définition en commun de règles et de normes, tout en veillant à ce que celles-ci soient effectivement appliquées, y compris dans des contextes où les principaux acteurs concernés ne sont pas des gouvernements.
Au bout du compte ce qui importe pour l’UE, c’est que la réforme du multilatéralisme doit se faire par le biais d’une construction et non par sa destruction. Nous devons revitaliser le système, et non l’abandonner. Dès lors, cette semaine et au-delà, nous maintenons l’esprit de l’Assemblée générale des Nations unies et défendons le multilatéralisme dont tous les pays ont tant besoin. Un monde sans Nations unies nous mettrait tous en danger. »