Discours de la Première Ministre du Royaume de Belgique à la 75e Assemblée Générale des Nations Unies
Samedi 26 septembre 2020
Monsieur le Président de l’Assemblée générale,
Monsieur le Secrétaire Général,
Mesdames et Messieurs les chefs d’Etat et de gouvernement,
Mesdames et Messieurs les chefs de délégation,
Mesdames et Messieurs,
Confiance – Responsabilité – Engagement, Voici les trois piliers sur lesquels nous bâtissons l’entraide et la coopération entre
nos différents pays: un multilatéralisme efficace.
Voici les trois valeurs dont nous avons besoin pour sauvegarder ce
multilatéralisme, et dont je veux vous parler aujourd’hui.
[LA PANDÉMIE DOIT NOUS OUVRIR LES YEUX]
2020 restera dans nos mémoires comme une année douloureuse. La pandémie de la COVID-19 nous a surpris. Chacun de nos États a été confronté à une crise sans précédent. Ce virus a emporté avec lui des centaines de milliers de personnes. Il a brisé de nombreuses familles à travers le monde. Son impact économique aussi est colossal.
Mais il a également généré dans nos esprits incertitude et questions sur l’avenir.
Pourtant, la COVID-19 ne doit pas nous aveugler. Au contraire. Nous devons ouvrir les yeux sur les faiblesses que cette pandémie a mises à nu. Sur nos modèles de société, par exemple. Nous devons reconnaître les effets négatifs et disproportionnés, que la pandémie a sur les personnes qui souffrent fortement des inégalités : les femmes et les filles, les enfants, les personnes âgées et les personnes porteuses d’un handicap. Personne ne doit être laissé au bord du chemin.
[NE PAS OUBLIER LES AUTRES DÉFIS]
Excellences, Mesdames et Messieurs,
Alors que nous continuons de lutter avec vigueur et détermination contre la
pandémie et ses conséquences, nous ne pouvons néanmoins pas tourner le dos aux autres enjeux majeurs de ce 21ème siècle.
Les tensions géopolitiques sont tangibles et des conflits sévissent ou s’annoncent dans divers coins du globe. Ces tensions, la situation sanitaire ne fait que les exacerber. Elles mettent en danger les fragiles équilibres de notre monde. Jamais, ces conflits ne sont inévitables. Par contre, ils ont toujours un impact dévastateur sur les populations…
La situation dans le Golfe, par exemple, reste une source de grave préoccupation et exige la plus grande prudence. L’accord JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action) reste crucial pour garantir le caractère exclusivement pacifique du programme nucléaire iranien. Nous devons activement préserver cet accord ainsi que le régime de non-prolifération. La question de la levée prochaine de l’embargo sur les armes classiques ne doit pas mettre en péril l’accord nucléaire et ses acquis. C’est une priorité absolue, pour la région et sa stabilité, pour la sécurité internationale ainsi que pour l’architecture mondiale de non-prolifération.
Au Moyen-Orient, la perspective d’une paix juste et durable reste l’objectif à
atteindre. Car il ne peut y avoir de paix au Moyen-Orient sans une solution
permanente et juste à la question palestinienne. Il ne peut y avoir de paix non plus au Moyen-Orient sans le droit légitime d’Israël de vivre en paix et en sécurité dans des frontière internationalement reconnues.
Il ne peut y avoir de paix non plus au Moyen-Orient sans éradication du
terrorisme. Oui, la suspension des plans visant à officialiser l’annexion de certaines parties des territoires palestiniens occupés est un pas dans la bonne direction. Mais non, ce n’est pas suffisant. Ces plans doivent être abandonnés définitivement. L’annexion compromettrait gravement la viabilité d’une solution durable et fermerait la porte à de futures négociations.
Nous nous félicitons des annonces récentes de la normalisation des relations d’Israël avec les Émirats arabes unis et Bahreïn. Nous devons y voir l’espoir qu’elle puisse être une pierre angulaire de la paix et de la stabilité dans l’ensemble de la région. Cela étant, les efforts internationaux et multilatéraux visant à une reprise significative des pourparlers doivent être activement soutenus pour permettre une solution négociée et viable à deux Etats, fondée sur le droit international et sur les résolutions des Nations unies.
La situation sécuritaire dans une grande partie du Sahel demeure très
préoccupante, malgré de nombreux efforts et une mobilisation internationale accrue. Suite au coup de force mené par des membres mutins des forces armées maliennes, l’ordre juridique et constitutionnel du Mali a été mis en cause. Les demandes légitimes, les aspirations et les frustrations des citoyens maliens, qui attendent des solutions pour relever les nombreux défis auxquels leur pays est confronté, ne devraient pas être rencontrées de cette manière. Nous apportons notre soutien à tous les efforts régionaux et inter-maliens afin de mettre en place le plus vite possible un processus de transition civil à Bamako permettant de retourner à l’ordre constitutionnel.
Beaucoup des défis du Mali sont communs à toute la région.
Le terrorisme, les conflits entre pasteurs et agriculteurs, ainsi que les tensions intercommunautaires, posent des risques de sécurité aigus.
Une approche holistique est nécessaire pour lutter contre l’extrémisme violent, mettant l’accent sur la bonne gouvernance, la lutte contre l’impunité, le renforcement des institutions démocratiques, le traitement des griefs des groupes marginalisés ainsi que sur un développement durable et inclusif.
En parallèle, de plus en plus de régions du monde subissent les implications
sanitaires, sécuritaires et humanitaires du dérèglement climatique et de la
dégradation de la biodiversité. La sécheresse et les conditions météorologiques irrégulières poussent les gens hors de chez eux, que ce soit en Somalie, au Yémen ou en Afghanistan. La fonte des glaces polaires conduit à une militarisation de l’Arctique. L’impact du changement climatique renforce les causes sociales, politiques, économiques et environnementales des conflits. L’urgence climatique est un défi pour la paix. Il n’y a plus de temps à perdre. Cette cause doit nous concerner toutes et tous.
La poursuite des objectifs de développement durable et plus généralement
l’Agenda 2030 sont des outils essentiels pour répondre aux défis mondiaux
auxquels nous sommes confrontés, qu’il s’agisse de pauvreté, d’inégalités, de climat, de dégradation de l’environnement.
[UN MULTILATÉRALISME EFFICACE COMME RÉPONSE]
Excellences, Mesdames et Messieurs,
Face à ces défis mondiaux, nous devons agir. Et admettre que nous ne pouvons pas le faire seuls. Aucun des défis communs que j’ai mentionnés ne peut être abordé dans l’isolement. Aucun de ces problèmes complexes n’a de solutions simples. Nous n’avons pas d’autre choix que d’unir nos forces, quitte à repenser les évidences voire à changer nos paradigmes. Mais toujours, dans le respect des principes de la Charte.
Le multilatéralisme ne fonctionne pas par essence, il fonctionne parce qu’il y a une volonté commune de le faire fonctionner. Si cela rend difficile la tâche de ceux qui agissent et plus facile la tâche de ceux qui
contemplent, qu’ils en soient ainsi. Mais ne nous trompons pas de combat !
C’est bien lorsque sa pertinence est questionnée que le multilatéralisme révèle son caractère indispensable. Aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin d’un multilatéralisme efficace. Jamais comme un objectif en soi. Toujours comme un moyen de s’attaquer aux problèmes dont nous faisons tous partie, d’une manière ou d’une autre. Comme moyen de prévenir les crises de front. Par la confiance, la responsabilité et l’engagement.
[LA CONFIANCE]
Excellences, Mesdames et Messieurs,
Quand je dis confiance, je parle de confiance en nous-mêmes. La confiance en nos capacités individuelles et collectives, comme incarné par nos services de soins de santé, pour lutter contre la pandémie.
La confiance en notre courage, notre résilience, notre savoir-faire et notre
comportement responsable, en combinaison avec nos progrès scientifiques, pour atténuer le changement climatique.
La confiance en notre volonté de parvenir à un développement durable pour tous. La communauté internationale a déjà surmonté des défis d’ampleur et nous le ferons à nouveau. La résignation n’est pas une option.
Quand je dis confiance, je veux dire aussi confiance mutuelle. Une telle confiance nous oblige tous à respecter la parole que l’on donne, elle nous oblige à être dans le dialogue constant et à pouvoir se mettre à la place de l’autre.
Quand nous ne le faisons pas, ou plus, la méfiance s’installe et, tôt au tard, rend la coopération nécessaire trop difficile. Voire impossible.
Quand je dis confiance, je veux dire une bonne gouvernance aux niveaux national, régional et international. Pour gagner la confiance des citoyens et des citoyennes. Une bonne gouvernance construite sur les fondements de l’Etat de droit, de la démocratie, de la responsabilité et du plein respect des droits humains.
Quand je dis confiance, je veux dire enfin confiance en la justice. Une justice qui doit être bâtie sur la conviction inébranlable que tous les individus sont égaux et qu’aucune forme de discrimination ne puisse l’altérer.
[RESPONSABILITÉ]
Excellences, Mesdames et Messieurs,
Confiance, responsabilité, engagement.
En tant que Nations Unies, nous avons la responsabilité de faire fonctionner la gouvernance mondiale. Nous contribuons de différentes manières et à différents niveaux, mais chaque membre peut y gagner. Les Nations Unies, c’est nous.
À ce titre, nous partageons la responsabilité de faire fonctionner le
multilatéralisme. Et de montrer sa valeur ajoutée. C’est pourquoi nous appuyons pleinement les efforts continus du Secrétaire général Antonio Guterres en faveur d’une réforme de l’ONU. Une réforme en vue d’une efficacité accrue, en vue d’une plus grande transparence, en vue d’une meilleure réactivité et adaptabilité.
Nous réaffirmons aussi notre plein appui à l’Action pour le Maintien de la Paix. C’est une reconnaissance de la nécessité de sauvegarder l’un des instruments les plus importants de la communauté internationale pour soutenir les processus politiques, protéger des centaines de milliers de civils et contribuer à garantir les cessez-le-feu.
Faire fonctionner la gouvernance mondiale et le multilatéralisme implique aussi de ne pas entraver le fonctionnement de ses organes existants.
C’est ainsi que la Belgique réaffirme son ferme soutien à la CPI, organe essentiel dans la lutte contre l’impunité des crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale. En tant qu’institution indépendante et impartiale, la Cour joue un rôle indispensable dans ce domaine.
La responsabilité signifie également que nous nous approprions les défis. Que nous passions de leur identification aux actions pour y faire face. C’est notre responsabilité à l’égard de nos contemporains mais aussi et surtout à l’égard de nos enfants et des générations. Ce qui m’amène à vous parler d’engagement.
[ENGAGEMENT / CE QUE FAIT LA BELGIQUE]
Pour mon pays, l’attachement au multilatéralisme fait partie de son ADN.
Peut-être n’est-ce pas étranger à notre histoire ; notre tradition du compromis. Les règles internationales nous protègent.
La coopération et nos relations étroites nous ont renforcés.
Un multilatéralisme efficace nous permet de dépasser notre poids relatif. Dans ce procédé, nous avons tous, petits et grands, une voix et une plus-value autour de la table. L’engagement est ce qui a aidé la Belgique à obtenir son sixième mandat au Conseil de sécurité de l’ONU.
En tant que membre élu pour 2019 et 2020, nous avons et continuons à mettre en œuvre notre devoir de faire progresser la paix et la sécurité au quotidien. Ce faisant, nous constatons que le Conseil de sécurité n’est pas à l’abri des tensions géopolitiques. Nous voyons un organe imparfait. Nous voyons 15 Etats qui ne sont pas toujours capables de résoudre tous les conflits.
Cependant, nous constatons également une grande majorité de décisions
unanimes. La coopération accrue entre les membres élus est inspirante.
Les mesures prises pour discuter des nouvelles menaces à la sécurité, telles que le changement climatique, sont encourageantes.
La justice transitionnelle constitue à cet égard un autre domaine pour lequel les Nations Unies peuvent faire preuve d’ambition. L’ambition d’une approche globale axée sur les droits humains, la centralité de la
justice et de la reddition des comptes. Autant d’aspirations, qui nécessitent une coordination entre les différents acteurs nationaux et internationaux, envers lesquelles la Belgique contribue et continuera à s’engager.
L’engagement est également le moteur de la coopération au développement et de l’aide humanitaire de mon pays. C’est ce qui a poussé la Belgique à apporter un soutien pluriannuel à l’UNRWA, faisant de notre pays l’un de ses plus grands donateurs, pour améliorer la vie des réfugiés palestiniens.
Cet engagement de la Belgique se traduit aussi par sa position parmi les
principaux donateurs européens en faveur du Yémen.
Nous appuyons également les efforts de l’UNICEF pour lui permettre de suivre la situation des droits de l’enfant dans les conflits. L’engagement belge se traduit par sa prévisibilité à travers son financement
pluriannuel direct aux organisations onusiennes actives dans le développement. Ce qui permet une action sur le long terme et une réaction adéquate aux nombreuses crises.
Par son engagement constant au travail et aux objectifs stratégiques d’ONU
Femmes, dont nous célébrerons cette année les 10 ans, mon pays œuvre à
l’intégration systématique de la dimension du genre dans ses actions. Il s’agit d’un principe cardinal de notre politique extérieure. C’est dans ce cadre-là que nous soutenons avec conviction l’action du Dr Denis Mukwege en faveur des femmes victimes de violences sexuelles dans l’Est du Congo.
L’engagement est de plus ce qui caractérise nos forces armées. Lutte contre la menace du terrorisme au sein de la Coalition mondiale contre Daech.
Participation aux missions de la paix multilatérales au Mali et en Afghanistan, sous les auspices de l’ONU, de l’Union Européenne ou de l’OTAN.
Enfin, une organisation forte et solide doit pouvoir s’appuyer sur les moyens que les États souverains qui la composent décident de lui allouer.
La Belgique s’engage à poursuivre ses efforts pour que l’ONU puisse disposer à temps des ressources nécessaires à son action, composante indispensable d’un multilatéralisme efficace.
[CONCLUSION]
Excellences, Mesdames et Messieurs,
Alors que nous célébrons les 75 ans de l’ONU dans des circonstances très
particulières, nous ne devons pas nous laisser aller au pessimisme.
Redressons-nous, relevons les défis qui nous font face et inspirons-nous des
réalisations passées. Dans les prochaines semaines, nous allons célébrer 20 années de progrès dans la consolidation de l’agenda Femmes, Paix et Sécurité et le 25ème anniversaire de la Plateforme de Pékin.
Autant de succès multilatéraux pour parvenir à un cadre politique mondial pour les droits des femmes. Il s’agit là de deux exemples concrets de ce que nous pouvons faire ensemble pour améliorer le quotidien de la moitié de la population mondiale. Ça compte ! C’est du reste un chantier dans lequel il y a encore beaucoup de progrès à réaliser.
Ce ne sont que quelques exemples, mais ils comptent. Car ils nous rappellent que le multilatéralisme peut fonctionner ; ils nous
rappellent les nombreux avantages d’un multilatéralisme efficace.
Alors, soutenons le ! Sans hésitation. Avec confiance, responsabilité et engagement. Je vous remercie.