L'OMS est la seule organisation internationale ayant la capacité technique et le mandat pour déclarer une urgence de santé publique à caractère international et pour coordonner et soutenir la réponse de tous les pays face à une pandémie.
Du 18 au 19 mai 2020, la 73e Assemblée Mondiale de la Santé (AMS) s'est tenue en ligne. L’ assemblée mondiale est l'organe décisionnel de l’OMS dans lequel siègent tous ses Etats membres. Elle arrête notamment les politiques de l'OMS, nomme le directeur général et en approuve le budget. Cette année, la lutte contre la pandémie du Covid-19 a été au centre des débats. L’ampleur de la pandémie et ses conséquences constituent en effet des enjeux mondiaux.
La gestion des débuts de la pandémie par le Directeur Général et les fonctionnaires de l’OMS a également été examinée de près, suite aux critiques dont elle a été l’objet.
Le président D. Trump a suspendu la contribution des Etats Unis qui représente plus de 17% du budget de l'OMS et vient de confirmer sa menace de quitter l’organisation au motif que celle-ci n’a pas joué son rôle face à la pandémie. D’autres gouvernements et de nombreux analystes se sont aussi montrés très critiques. Des reproches ont également été adressés à la Chine, accusée d’un manque de transparence et de communication au début de l’épidémie, deux éléments essentiels sur lesquels repose la capacité de réaction au niveau mondial.
Pourtant lors de la 73e AMS, les Etats membres ont réussi à sortir de la logique des accusations réciproques et à resserrer les rangs. Ils ont adopté par consensus-avec quelques réserves américaines- une résolution qui trace les grandes lignes de la lutte contre la pandémie, qui réaffirme le rôle de l’OMS, mais qui demande aussi que soit lancée une évaluation impartiale, indépendante et complète qui portera, entre autres, sur les origines du virus et la gestion de la crise. Non moins important, cette résolution endosse le principe d’un accès aux vaccins et aux traitements garantis pour tous.
[1]
I. Quels sont les reproches adressés à l'OMS dans sa gestion initiale de la crise ?
La direction de l’ OMS aurait retardé sa communication concernant l'étendue de la pandémie et aurait été trop proche de la Chine au point de ne pas avoir tenu compte d'avertissements provenant, entre autres, de Taiwan
[2]. La conséquence de ce manque de transparence au début de la pandémie et le temps mis à déclarer le Covid-19 « pandémie » auraient contribué à la lenteur de la réaction internationale face à la propagation rapide du virus au niveau planétaire.
II. Chronologie des premiers mois de gestion de la crise Covid-19 publiée par l'OMS ( sous réserves d'autres informations complémentaires ou différentes )
1. La maladie portée par le Covid-19 apparait le 17 novembre 2019 dans la province de Hubei ( en Chine centrale) et plus précisément dans la vile de Wuhan
2. Le 31 décembre, la Chine prévient le bureau de l'OMS en Chine que des pneumonies d’origine inconnue ont été détectées à Wuhan. Les autorités chinoises ont pu déterminer, de manière préliminaire, la responsabilité d’un nouveau coronavirus.
3. Le 14 janvier, l'OMS approuve les conclusions de l’enquête préliminaire des Chinois selon laquelle il n’y a pas de preuves évidentes de transmission interhumaine.
4. Le 20 janvier, des experts de l'OMS effectuent une brève visite en Chine.
5. Le 22 janvier, l'OMS organise une conférence de presse en précisant toutefois qu’il n’y avait pas, à ce stade, une urgence de santé publique de portée mondiale. Les membres indépendants venus du monde entier qui composent le comité d'urgence n’étant pas parvenu à un consensus sur le sujet.
6. Le 28 janvier, le DG de l'OMS, le docteur Tendrons Adhanom Ghebreyesus, se rend à Pékin et est reçu par le président chinois qu'il félicite pour sa gestion de la crise.
7. Le 30 janvier le DG de l'OMS convoque à nouveau le comité d'urgence qui parvient cette fois ci à un consensus. Le DG déclare que la flambée du nouveau coronavirus constitue une urgence de santé publique de portée internationale ;
8. Du 11 au 12 février, l'OMS organise un forum sur la recherche et l'innovation concernant le COVID19, auquel participent plus de 400 experts et quelques bailleurs de fonds.
9. Du 16 au 24 février, l'OMS envoie en Chine une mission composée d'experts internationaux qui se rend entre autres à Wuhan sous la direction de Bruce Aylward
[3] qui publie un rapport le 28 février.
10. Le 11 mars, l'OMS déclare que la Covid-19 peut être qualifiée de pandémie.
11. Le 13 mars lancement du Fonds de solidarité qui recueillera des fonds des EM, du secteur privé et de fondations. Il a été créé par la Fondation pour les NU et la Swiss Philanthropy Foundation, de concert avec l’OMS.
12. Le 18 mars, pour pallier au manque de traitements scientifiquement prouvés et efficaces, l'OMS lance une étude appelée "Essai de solidarité" pour comparer l'efficacité de quatre traitements potentiels pour Covid-19. Plus de 90 pays participent actuellement à cet essai.
Dans cette chronologie publiée par l’OMS, il n’est pas fait mention du fait que Taiwan ait également informé l'OMS le 31 décembre sur l’apparition d’un nouveau coronavirus et le risque de transmission interhumaine.
Quoiqu’ il en soit, il a fallu plus d’un mois à la Chine pour informer l’OMS de l’apparition du Covid-19 et un mois à l’OMS pour déclarer l’urgence sanitaire.
III. Rôle de l'OMS dans la gestion de l’épidémie du Covid-19
Depuis le 30 janvier, date à laquelle l’OMS a déclaré l’urgence sanitaire, l'OMS est au cœur de la réponse mondiale à la crise du Covid-19.
L’OMS intervient dans 4 secteurs critiques : l’orientation technique, la communication, les essais cliniques et enfin l’accès aux traitements et vaccins. Par son action, l’OMS a fourni des orientations techniques et de nombreux pays s'appuient sur les conseils de l'OMS pour mettre en place leurs infrastructures sanitaires. En coordonnant des essais cliniques mondiaux, elle a également permis, aux scientifiques de faire plus rapidement des percées dans le domaine des médicaments. L’OMS est la seule agence au monde capable de coordonner des essais mondiaux sur les thérapies et les vaccins. La portée révolutionnaire de l’« essai de solidarité », auquel plus de 90 pays ont adhéré, permet de recueillir des données sur les thérapies potentielles plus rapidement et plus efficacement que les efforts de moindre envergure.
En activant l'équipe de gestion des crises de l'ONU, en éditant des centaines de documents et recommandations, en rassemblant des centaines de scientifiques du monde entier pour tenter de coordonner les recherches sur les tests et les vaccins, en communiquant quasi journellement sur l’état de la pandémie et les mesures à prendre pour l’endiguer, elle a joué son rôle de conseiller technique et scientifique. Elle a également fourni du matériel (masques, tests...) Et de l'assistance technique aux pays en développement. Enfin, elle a mobilisé des ressources financières notamment auprès des pays de l'UE, de la Fondation B&M Gates mais également auprès des pays en développement et du secteur privé.
En même temps, la récente décision prise par l'OMS de suspendre les essais cliniques sur l’utilisation de l'hydroxychloroquine dans le traitement du Covid-19 à la suite d'une étude très controversée parue dans The Lancet a ravivé les craintes de certains que l'OMS soit trop influencée par l'industrie pharmaceutique.
Conclusions
Il est extrêmement encourageant que l’AMS ait trouvé un consensus sur le rôle fondamental que doit jouer l’OMS face à une grave crise sanitaire à l’échelle mondiale. Le multilatéralisme, que l’on dit en crise, pourrait en sortir, espérons-le, renforcé.
Ceci n’exclut pas une approche critique des tâtonnements au début de la crise du coronavirus, de la communication à ce sujet et des décisions prises non seulement par la direction de l’OMS, mais aussi par ses Etats membres, individuellement, ou collectivement au sein de ses organes de décisions.
L’évaluation indépendante qui sera lancée, devrait permettre de faire la lumière sur les manquements constatés, de mettre le doigt sur les divers niveaux de responsabilité et surtout d’apporter ensuite les corrections et réformes nécessaires à un meilleur fonctionnement de l’organisation tout en la préservant des influences extérieures qu’elles viennent de l’un ou l’autre Etat membre ou du secteur privé.
Dans ce contexte, les Etats membres devront eux aussi assumer sérieusement leurs responsabilités tant du point de vue du contrôle de l'organisation que de son financement. En effet comme les autres organisations du système des NU, l'OMS est gouvernée par des organes intergouvernementaux dans lesquels siègent ses Etats membres. Elle ne dispose ni de pouvoir de sanction ou de coercition sur les Etats membres.
Sans cette participation des Etats membres et bien entendu si elle ne reçoit pas les budgets adéquats, l'OMS peut difficilement mettre en œuvre ses programmes et atteindre ses objectifs. Il revient aux organes intergouvernementaux de s'assurer que l'action du Directeur général reste conforme à leurs directives et que leurs contributions soient utilisées à bon escient et particulièrement les contributions des entreprises privées dont de grands groupes pharmaceutiques. Alors que le multilatéralisme est lui-même en crise à un moment ou beaucoup s'accordent à dire qu'il faut une action coordonnée au niveau mondial pour lutter contre la pandémie du Covid-19 et d'autres crises qui se profilent comme celle liée au dérèglement climatique, les réformes attendues à l'OMS devraient être l'occasion de réfléchir aux conditions d'un multilatéralisme plus efficace et incontesté. Dans ce contexte, on ne peut que regretter la décision des Etats Unis de se retirer de l’OMS.
Face à cette crise sans précédent, il est impératif que les Etats fassent preuve de solidarité en travaillant avec la communauté internationale non seulement pour arrêter la propagation du Covid-19, mais aussi pour s’atteler à renforcer l'architecture mondiale de la santé publique et pour atténuer les terribles effets sociaux et économiques d’une crise de cette ampleur.
Le 29/05/2020
[2] Taiwan n’ est plus autorisée à assister aux AM en tant qu’ observateur depuis 2016 sous pression de la Chine avec l’ accord de la majorité des Etats membres ( l’ adhésion d’ un pays est de la responsabilité des EM)
[3] Medecin épidémiologiste canadien